Un mot pour un autre

Nous ne pouvons que célébrer le multilinguisme, cette pluralité des langues reflet de la diversité du monde. Nous savons qu’aucune langue ne naît de rien et ne grandit seule, que la migration des mots est essentielle à la vitalité d’une langue à travers les siècles et les continents. Une langue est vivante car hospitalière, forte parce que capable de changer, d’évoluer, de s’augmenter en accueillant de nouveaux mots ou expressions. 

La langue française, comme d’autres, ne s’impose plus par besoin de domination, elle rayonne par désir. La culture, l’éducation, la recherche sont ses meilleurs véhicules. Elle ne craint pas les métissages propres à notre humanité, elle est bonne voisine des autres langues. 

Alors pourquoi cette sourde inquiétude ? Non pas parce que l’anglais, ou même l’anglais américain la menacerait, c’est-à-dire une langue à la place d’une autre, mais plutôt parce qu’une non-langue, qualifiée parfois de globish, un agrégat de mots et d’expressions venues de l’anglais, la plupart du temps mal utilisés, parasite la langue française du quotidien, du commerce, de la mode, des jeux, de la culture, d’à peu près tout. On ne sait pas bien d’où vient ce tropisme qui contamine des devantures de coiffeurs aux grandes marques automobiles ou banques françaises, en passant par les cercles d’inclus, politique, finance, conseil… Toutes classes sociales confondues, on se repaie de ces globissismes, se donnant l’illusion d’une modernité, de manipuler des expressions à la pointe, ou tout simplement par paresse et suivisme. Plutôt que d’apprendre et de parler l’anglais, on en mâchouille des miettes. 

On se bat pour la diversité en globish, on exporte les particularismes de la culture française en anglicismes. Quel complexe cela révèle-t-il, sommes-nous à ce point tristes que le français ne soit plus la langue des cours d’Europe ou de la diplomatie ? Aurions-nous abdiqué pour nous laisser aller à une soumission et à une uniformisation linguistique à minima ?

Pourtant, nos langues françaises sont riches et en bonne santé, des quartiers au monde elles ont le souffle du temps et vibrent d’aujourd’hui.

Plutôt que d’utiliser par suivisme peureux des termes étrangers à notre langue et à l’anglais (et qui font bien rires nos amis anglophones), prenons le temps de retrouver, trouver, ou inventer s’il fait défaut, un mot, une expression, qui rendront plus belle notre langue et plus juste le multilinguisme.

Paul Rondin, Directeur de la Cité internationale de la langue française

Cour du Jeu de paume et son ciel lexical 2 © Atelier Projectiles © Benjamin Gavaudo – CMN